Introduction
aux mots
de Louise
Il faudrait, pour la
peindre, renoncer à la
vanité de la
rendre par un portrait. Elle ne commence à être ce
qui la distingue qu’en se dérobant à
toute
peinture. Ni plus ni moins de teinte n’en rehausserait la
couleur. Elle
est délibérément sans éclat
et
détonne sans se démarquer.
Je
ne ferai pas son portrait. Trop peu sûr est
l’emplacement, trop meuble, où poser le chevalet,
l’endroit d’où tendre le pouce et
mesurer les proportions, où l’œil se
fait arpenteur,
critique.
Mesures, mensurations, un mot empreint d’abject marchandage,
disparu aussitôt qu’entrevu tant il disconvient
mais qui laisse en creux quelque chose qui
l’évoque : Louise
ne se laisse pas mesurer.
Elle
relit Platon,
saint Augustin, aussi Tintin et le petit Rimbaud.
Elle a des airs de
Monica
Vitti. Dans l’Eclisse
surtout. Un mot jeté au vent. Un geste
interrompu. Un visage tout à l’heure riant qui
soudain s’assombrit.
Louise
la puritaine
inspire de l’amour à quatre ou cinq
types qu’elle ne voit qu’en particulier, provoque
la rencontre, cultive le privilège de ces
face-à-face,
dispense toutes les marques d’une attention
sincère,
accepte le cadeau d’un livre, en offre un autre
qu’elle
choisit avec dilection, se laisse inviter à dîner,
heureusement ne prétend pas partager l’addition,
soutient
de longs regards muets, risque des questions personnelles du
même
effet, demande toutes les heures si « ça
va », quand apparemment non,
« ça » ne va pas, et
s’étonne
qu’on s’éloigne plutôt que
d’endurer
encore cette combustion.
Elle
parle parfois d’elle-même à la
troisième personne.
Elle
a
de plaisantes
inquiétudes, comme celle qui lui fait
demander si la colère n’est pas cause
d’un silence
qui la rebute. D’où sait-elle si
sûrement
qu’elle a pu inspirer ce sentiment plutôt
qu’un
autre ? Trop facile, répondrait-on dans la cour de
récré : elle y était.
On
est
bien indiscret
de lui demander ce qu’il y a au bout de la
chaînette dorée qui finit sous son corsage. Elle
ne
saurait l’être d’ouvrir une carte dont on
lui a
montré le recto, et de jeter un œil sur ce
qu’on y
a écrit.
Aussitôt
entrevue et déjà tout ailleurs
/ Un nuage qui passe ou une ombre trop belle / Reste à
délibérer, chez ses admirateurs / Et à
se dire enfin : suis-je ivre ou est-ce elle ? / La
vérité souvent niche entre deux erreurs / Il y a
dans le vin de quoi guérir les cœurs / Et dans le
vain amour l’espérance éternelle.
Elle
ne
pourrait
jamais dire : « Je vais réunir
quelques amis. » Il n’y aurait que des
types, qui se
foutraient sur la gueule.
Elle
n’est
jamais excessive. Aucun gros mot jamais ne
franchit ses
lèvres.
Parler,
marcher. Le
bonheur de ne l’entendre jamais rien dire qui ne soit pour
aller d’un point à un autre.
Louise
marche pour
penser. Si je pouvais décrire son pas, je pourrais lire dans
ses pensées.
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